01/03/2019
Inde, Afrique : des politiques agricoles à la recherche d’efficacité

Jean-Christophe Debar, directeur de FARM

Inde, Afrique : des populations quasi identiques (1,3 milliard d’habitants) et des fondamentaux agricoles du même ordre de grandeur, qu’il s’agisse de la contribution de l’agriculture au produit intérieur brut ou des bas niveaux de revenus agricoles, résultant pour partie de la prédominance des petites exploitations. La part de la population active travaillant dans l’agriculture est nettement supérieure à celle des autres régions, avec le risque d’un creusement de l’écart de revenu entre villes et campagnes si les trajectoires de développement actuelles se poursuivent. Dans les deux cas, se pose clairement un problème d’efficacité des politiques agricoles.     

Ce problème, la question des subventions aux intrants l’illustre parfaitement.

De quoi s’agit-il ? Dans beaucoup de pays africains, les agriculteurs paient les engrais, mais aussi parfois les semences et les achats de matériel, à des prix inférieurs aux prix de marché, grâce à des subventions octroyées par l’Etat. Les aides aux intrants sont encore plus importantes en Inde, où elles couvrent également l’eau d’irrigation, l’électricité, le crédit, l’assurance, etc. Elles représentent quelque 6-8 % de la valeur de la production agricole, contre 1 à 2 % en Afrique subsaharienne.

Ces subventions font l’objet de nombreuses critiques. On leur reproche leur coût budgétaire élevé, leur relative inefficacité, leur détournement pour cause de fraude ou de corruption, leur ciblage défectueux qui laisse de côté beaucoup de petits producteurs ou encore leur impact négatif sur l’environnement, dû par exemple à la surconsommation d’engrais et d’eau d’irrigation.

Dans ce contexte, divers experts ont proposé des pistes de réforme. Les préconisations les plus audacieuses proviennent d’économistes indiens. Certains suggèrent de réduire la part des subventions aux intrants dans les dépenses de soutien à l’agriculture, au profit des investissements dans les infrastructures, la recherche ou la formation, censés accroître davantage la valeur ajoutée agricole ou réduire plus fortement la pauvreté. D’autres suggèrent de versement directement aux agriculteurs les sommes budgétisées pour les subventions aux engrais. Pour éviter tout détournement, mais aussi pour donner aux producteurs un plus grand pouvoir de décision sur l’utilisation des subsides. Cette nouvelle modalité permettrait en outre aux pouvoirs publics de cibler précisément les bénéficiaires des aides, en privilégiant les petits paysans et des catégories négligées, dont les femmes. Elle conduirait à une hausse du prix des engrais et à une baisse de la production agricole, mais la perte de revenu des agriculteurs serait compensée par le paiement direct. Des réflexions iconoclastes mais qui nourrissent utilement le débat sur les politiques agricoles, en Inde comme en Afrique.   

31/01/2019
Irriguer l’Afrique, enjeu majeur

Jean-Christophe Debar, directeur de la fondation FARM

Dans un rapport récent, le Malabo Montpellier Panel – groupe de dix-sept experts internationaux renommés en agriculture, nutrition et environnement – sonne l’alarme. En Afrique, à peine 6 % de la surface cultivée sont irrigués, contre 14 % en Amérique latine et 37 % en Asie. L’ampleur des défis que doit relever le continent pour nourrir une population en forte expansion et réduire la pauvreté, alors que se précisent les menaces liées au changement climatique, impose de faire de l’irrigation une réelle priorité politique.

Le problème, en réalité, est essentiellement circonscrit à l’Afrique subsaharienne. Les pays d’Afrique du Nord assurent aux agriculteurs un meilleur accès à l’eau. Ainsi le Maroc s’est doté depuis longtemps d’une organisation institutionnelle spécifique, aux échelons national et local, pour développer l’irrigation, qui touche aujourd’hui près de 20 % de la surface cultivée.  

Les piètres performances africaines en matière d’irrigation illustrent parfaitement le biais anti-agricole qui a longtemps animé les politiques publiques menées au sud du Sahara et dont elles commencent à peine à sortir. Le contraste avec l’Asie est saisissant. Selon nos estimations, fondées sur les données publiées par le département américain de l’Agriculture, la valeur moyenne du produit agricole brut par hectare, au début des années 1970, était plus élevée en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) que dans les pays asiatiques en développement. Quarante ans plus tard, la situation s’est inversée : un hectare de terre exploité pour la culture ou l’élevage génère un produit brut près de deux fois supérieur en Asie. Or, dans le même temps, la part de la surface cultivée équipée pour l’irrigation a stagné à 3 % en Afrique subsaharienne, alors qu’elle a crû de 24 % à 38 % en Asie : le « paquet » semences améliorées/intrants/irrigation apporté par la Révolution verte a été très efficace.    

Pourtant, la marge de manœuvre en Afrique subsaharienne est considérable. Selon le Malabo Montpellier Panel, compte tenu des capacités hydriques et des taux de retour sur investissement escomptés, la surface irriguée dans cette région pourrait pratiquement quintupler, à 38 millions d’hectares. D’après nos estimations, 16 % de la surface cultivée seraient alors irrigués. Comme une parcelle bénéficiant d’un accès à l’eau produit en moyenne deux à trois fois plus qu’en agriculture pluviale, le surcroît d’irrigation ainsi réalisé pourrait augmenter la production agricole dans les pays au sud du Sahara (y compris l’Afrique du Sud) de 12 à 24 %.  

Bien sûr, la construction d’infrastructures d’irrigation ne suffit pas, à elle seule, à enclencher un développement agricole efficace, comme le montre le bilan décevant de l’installation de grands barrages au Mali, au Sénégal et au Burkina Faso. Il faut aussi que les superficies irriguées dont dispose chaque ménage soient suffisantes, que la ressource soit préservée et que les agriculteurs bénéficient de crédit, d’intrants et d’un véritable accès au marché. L’irrigation n’est qu’un ingrédient d’une stratégie d’intensification durable en faveur des petits producteurs. Mais c’en est une pièce essentielle, trop longtemps négligée et qui mérite désormais toutes les attentions.