09/07/2018
Les promesses de l'agriculture contractuelle

Jean-Christophe Debar, directeur de la fondation FARM

L’agriculture contractuelle est depuis longtemps, au Nord comme au Sud, l’objet de vifs débats. D’un côté, elle permet de sécuriser le revenu des agriculteurs en assurant un débouché pour leur production, à un prix fixé à l’avance, tout en garantissant à l’entreprise acheteuse un approvisionnement en quantité et qualité, à une date déterminée. D’un autre côté, le pouvoir de marché dont dispose l’entreprise face à un secteur agricole très atomisé risque de créer entre les deux parties une relation de domination, susceptible de se traduire par un déséquilibre des termes du contrat au détriment des producteurs, voire par leur soumission pure et simple aux « donneurs d’ordre » agro-industriels.

Pour dépasser ce dilemme et explorer les conditions de réussite mutuelle de l’agriculture contractuelle en Afrique, la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM) a constitué un groupe de travail avec trois entreprises françaises – la Compagnie Fruitière, Agrial, Avril -, deux PME africaines – Danaya Céréales (Mali) et Dafani (Burkina Faso) - et une ONG, le Gret. Ce groupe s’est réuni à plusieurs reprises pour partager les expériences des participants et recueillir les témoignages d’une dizaine de témoins issus des différents maillons des filières : transformateurs, organisations agricoles, institutions financières, etc. Le rapport présentant la synthèse de ses réflexions vient d’être publié[1].

Selon ce document, la contractualisation, encore relativement peu développée en Afrique, ne pourra l’être davantage que si une plus grande confiance s’instaure entre les agriculteurs et les entreprises. Cela peut être atteint, notamment, par la mise en place, par ces dernières, d’une diversité de services (assistance technique, fourniture d’intrants, financement, etc.) incitant les producteurs à respecter leurs engagements contractuels de livraison.

Les autres facteurs de réussite incluent une meilleure valorisation des productions et un partage plus équitable de la valeur, par différents moyens : certification des pratiques, mobilisation d’organisations de producteurs compétentes, élaboration de contrats suffisamment souples pour s’adapter à la volatilité des prix. Les technologies de l’information et de la communication portent, en elles-mêmes, une capacité de transformation majeure dans tous ces domaines, car elles permettent une plus grande transparence du marché et un partage des risques à tous les échelons des filières. Enfin, les gouvernements ont un rôle spécifique à jouer en créant un cadre réglementaire favorable.  

La contractualisation n’est pas une panacée du développement, mais elle peut constituer, si ces conditions sont réunies, un puissant moteur pour la construction de filières agroalimentaires performantes et inclusives, capables de contribuer au développement durable
[1] Rapport Contractualiser avec les agriculteurs en Afrique, juin 2018, disponible sur le site www.fondation-farm.org

12/06/2018
La PAC contre les pays en développement?

Jean-Christophe Debar, directeur de la fondation FARM

La critique est connue : en soutenant leurs agriculteurs, les pays riches augmentent leur production ; ils accroissent leurs exportations et réduisent leurs importations de produits agricoles, au détriment des agriculteurs des pays pauvres, confrontés à une concurrence déloyale. La politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne, premier exportateur agricole mondial, est ainsi la cible de violentes attaques, au motif qu’elle aurait des effets nuisibles sur les pays en développement. Mais qu’en est-il en vérité ?  

Il est indéniable que la combinaison de prix garantis, de subventions à l’exportation et de fortes protections à l’importation mis en place par la PAC dans les années 1960 a permis à l’Europe de devenir un acteur majeur des marchés internationaux. La hausse de sa production a pesé sur les prix alimentaires mondiaux, au bénéfice des consommateurs des pays importateurs, mais au préjudice des agriculteurs des pays concurrents, ce qui a d’ailleurs contribué au lancement des négociations agricoles multilatérales en 1986.   

L’abaissement des prix garantis partiellement compensé par des aides directes, au début des années 1990, puis le découplage de ces aides (c’est-à-dire leur déconnexion du volume produit et de la nature des productions pratiquées) et leur baisse graduelle à partir du milieu des années 2000 ont changé la donne. Selon la plupart des économistes, les paiements directs découplés ont un impact minime sur la production agricole européenne : celle-ci diminuerait peu s’ils étaient supprimés (en revanche, le nombre d’agriculteurs chuterait). Bien entendu, cet impact varie selon les secteurs, d’autant plus que certaines productions continuent de recevoir des aides spécifiques.

Des changements spectaculaires sont également survenus en matière de politique commerciale agricole. Certes, les protections à l’importation communautaires restent élevées. Mais l’Union européenne a complètement ouvert son marché aux exportations des pays les moins avancés et conclu un grand nombre d’accords commerciaux bilatéraux, préférentiels ou réciproques. En outre, elle ne verse plus de subventions à l’exportation, qu’elle s’est d’ailleurs engagée à abolir à l’OMC.

Résultat de ces évolutions : en trente ans, selon l’OCDE, le soutien aux agriculteurs européens, incluant à la fois les prix garantis, les paiements directs et les protections aux frontières, a été divisé par deux, en pourcentage de la valeur de la production. Les revenus agricoles, en France notamment, subissent de plein fouet ce désengagement public. Pour les pays pauvres, le premier enjeu n’est plus la réduction des aides dans les pays à haut revenu, même si des problèmes demeurent, mais la montée en puissance des pays émergents et la construction de solides politiques agricoles.