Jean-Christophe Debar, directeur de FARM
« Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre » : tel est le dixième objectif de développement durable (ODD), sur les dix-sept fixés par l’Organisation des Nations unies à l’horizon 2030. Dans les pays les moins avancés ainsi que dans certains pays émergents, où une grande part de la population continue de travailler dans l’agriculture, atteindre cet ODD revient en grande partie à diminuer les écarts de revenu entre agriculteurs et non-agriculteurs, qui sont énormes. Selon nos calculs, en Afrique subsaharienne, un actif agricole dégage une valeur ajoutée environ six fois inférieure, en moyenne, à celle d’un actif employé dans l’industrie ou les services. En d’autres termes, son revenu, avant éventuels transferts sociaux, est six fois inférieur à celui d’un non-agriculteur. En Inde, l’écart est de un à cinq.
La situation s’améliore, mais très lentement. Entre 2006 et 2016, dans les pays au sud du Sahara, le rapport entre les valeurs ajoutées par actif agricole et non-agricole est passé de 13 % à 16 %. En Inde, il a stagné à 20 %. Combler cet écart est très ardu car il implique d’accroître la productivité du travail en agriculture beaucoup plus rapidement que dans les autres secteurs de l’économie. Le cas de la Chine est particulièrement éloquent. Depuis 2006, la valeur ajoutée d’un agriculteur chinois a été multipliée en moyenne par 2,2, contre 1,9 pour un actif non-agricole. La différence de revenu entre agriculteurs et non-agriculteurs s’est donc un peu amoindrie : en 2016, le revenu par actif agricole, avant transferts sociaux, valait 22 % du revenu par actif non-agricole, contre 19 % dix ans plus tôt. A ce rythme, le rattrapage sera très long.
De son côté, à l’approche des élections législatives, le gouvernement indien a pris la décision radicale d’allouer des aides directes aux petits agriculteurs, pour faire reculer la pauvreté et les inégalités. Le 24 février dernier, les paysans qui exploitent moins de 2 hectares (soit 86 % du nombre de ménages agricoles indiens) ont reçu chacun l’équivalent de 86 dollars U.S., ce qui correspond à 6 à 10 % de leurs recettes annuelles. Si ce programme se poursuit, comme annoncé, pendant dix ans, il pourrait augmenter sensiblement le revenu des petits producteurs, au prix, il est vrai, de gigantesques transferts sociaux : 10,7 milliards de dollars par an. Dans la même veine, certains experts suggèrent de convertir les subventions aux engrais - qui coûtent également autour de 10 milliards de dollars par an - en paiements versés sur le compte bancaire des agriculteurs, pour limiter les détournements de fonds et laisser plus de choix aux producteurs dans leurs décisions d’investissement. Soulignons-le : le débat ouvert en Inde sur les aides directes est majeur. Il devrait résonner jusqu’en Afrique.