L'agriculture et la Covid-19 (2) Les Etats à la rescousse
Jean-Christophe Debar*
Dans sa dernière analyse sur les perspectives de l’économie mondiale, publiée le 24 juin, le Fonds monétaire international souligne l’ampleur de la crise économique « sans précédent » due à la pandémie de Covid-19. Le produit intérieur brut mondial, qui avait crû de 2,9 % en 2019, devrait plonger de 4,9 % en 2020, soit beaucoup plus fortement que prévu initialement. La chute serait de 8 % dans les économies avancées (dont 8 % aux Etats-Unis et 10,2 % dans la zone euro) et de 3 % dans les pays émergents et les pays en développement. Si la Chine limite la casse (+ 1 %), l’Amérique latine (- 9,4 %), le Moyen-Orient (- 4,7 %), l’Inde (- 4,5 %) et l’Afrique subsaharienne (- 3,2 %) sont durement touchés.
Confrontés à ce désastre, les gouvernements ont réagi avec vigueur, mais de manière contrastée selon l’importance de la récession et, surtout, des ressources dont ils disposent. Le montant des dépenses budgétaires et des baisses de taxes mises en œuvre pour protéger les populations contre le virus, préserver l’emploi et éviter les faillites est colossal : il atteint, à ce jour, environ 9 % du PIB dans les économies avancées, 3 % dans les pays émergents et 1 % dans les pays à faible revenu. Encore ces chiffres ne comprennent-ils pas les mesures de soutien à la liquidité des entreprises, comme les prêts et garanties de prêts, dont le défaut pourrait résulter en des pertes sèches pour les trésors publics.
Les Etats-Unis se distinguent
Dans ce contexte, quid de l’agriculture ? Peu de pays ont lancé des plans d’aide ciblant spécifiquement ce secteur. Les Etats-Unis se distinguent, et de loin. Quelque 16 milliards de subventions directes ont déjà été annoncés pour compenser les pertes de revenu agricole liées à la Covid-19 ; une nouvelle enveloppe est attendue prochainement. A cela s’ajoutent un accroissement des achats publics de produits agricoles (3 milliards de dollars) et, surtout, une augmentation du soutien à la consommation alimentaire, via notamment les « bons de nourriture » octroyés aux personnes les plus pauvres, dont le nombre explose avec la récession.
Dans l’Union européenne, l’intervention publique est beaucoup plus modeste. Il est vrai que, à l’exception de quelques productions, l’impact de la pandémie sur les filières agricoles a été, semble-t-il, nettement moins fort sur le Vieux Continent, pour des raisons qui tiennent notamment à la moindre part de la restauration hors-foyer dans les dépenses alimentaires des ménages. Le soutien aux agriculteurs se traduit essentiellement par une hausse des aides d’Etat : les gouvernements sont autorisés à verser jusqu’à 125 000 euros par exploitation, dont 25 000 euros sans agrément préalable de la Commission européenne. A mi-mai, seuls huit Etats membres avaient usé de ce dispositif, pour un montant total de 1,2 milliard d’euros, consistant pour moitié en subventions accordées aux producteurs hollandais de fleurs et de fruits et légumes. Le budget communautaire finance des mesures complémentaires (utilisation du reliquat des fonds de développement rural, aide au stockage privé, etc.), mais limitées.
Dans les autres régions, y compris en Afrique, l’appui aux agriculteurs s’est fait principalement de manière indirecte, via des plans d’aide aux ménages les plus vulnérables et des mesures de lutte contre l’insécurité alimentaire. Ainsi, en Inde, chaque personne éligible recevra mensuellement, jusqu’en novembre, 10 kilos de blé et de maïs, soit le double de la quantité habituelle, et 1 kilo de légumineuses. Ce dispositif, qui permet d’écouler les stocks de grains achetés par l’Etat pour soutenir les prix agricoles, couvre deux tiers de la population.
Les conséquences pour les politiques agricoles
Au-delà des mesures exceptionnelles prises à court terme, la crise de la Covid-19 devrait avoir des conséquences durables sur les politiques agricoles. D’abord parce que l’endettement accru des Etats va peser sur les budgets disponibles pour l’agriculture. Si cette contrainte ne semble guère entraver la capacité dépensière des Etats-Unis ni trop gêner – jusqu’à présent du moins – le financement de la PAC, elle pourrait être catastrophique pour les pays d’Afrique subsaharienne, qui ont déjà bien du mal à soutenir un secteur qui emploie pourtant la moitié de la population active.
Les autres retombées prévisibles de la pandémie dérivent de l’attention accrue que les gouvernements vont sans doute porter au renforcement de la résilience des chaînes de valeur agricoles. L’accent était mis sur leur efficacité, il serait logique qu’il le soit désormais sur la capacité des filières à résister aux chocs de toute nature, climatique, sanitaire ou économique, qui ne manqueront pas de se produire dans l’avenir. Dans cette optique, le soutien à l’assurance des rendements, l’incitation à l’épargne mais aussi la création de « réserves de crise » mobilisables rapidement en faveur des agriculteurs, deviennent des priorités. Si l’on regarde vers l’aval, les circuits courts, plébiscités par des citadins avides de proximité, vont probablement bénéficier de nouveaux appuis. Enfin, la souveraineté alimentaire a le vent en poupe. Beaucoup de pays en développement veulent accroître leur production pour réduire leur dépendance au commerce international. L’Union européenne, à la fois premier importateur et premier exportateur mondial de produits agricoles, doit jouer sur les deux tableaux.
* Jean-Christophe Debar est directeur de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM).