15/11/2018
Une agriculture plus durable : vrais et faux dilemmes

Jean-Christophe Debar, directeur de la fondation FARM

L’augmentation de la population mondiale – plus de deux milliards de bouches supplémentaires à nourrir d’ici à 2050 - impose aux agriculteurs de produire plus. Mais les nuisances liées à la production agricole – pollution de l’air et de l’eau par les engrais et les produits phytosanitaires, risques posés par ces derniers à la santé humaine et la biodiversité, accélération du changement climatique… - sont dénoncées, à juste titre. Comment concilier sécurité alimentaire et plus grande durabilité de l’agriculture ? Une étude récente de chercheurs de l’université de Cambridge tend à réhabiliter l’agriculture intensive, si décriée, en montrant que des rendements élevés permettent de réduire les quantités d’intrants et de gaz à effet de serre par tonne de production agricole. Et de consommer moins de terres, donc d’épargner les forêts et les prairies.  

Le dilemme serait-il résolu ? Le « productivisme » serait-il un faux problème ? Hélas, non. D’abord, les préoccupations croissantes pour le bien-être animal changent la donne. Elles introduisent dans l’équation des critères éthiques et mettent un bémol aux atouts de l’élevage intensif. Ensuite, si l’on veut contenir la hausse des températures, comme le prévoit l’accord de Paris sur le climat, il faut diminuer les émissions de gaz à effet de serre, non seulement par tonne de production agricole mais aussi en valeur absolue. Le défi est donc d’alléger les apports d’intrants par hectare, sans sacrifier les rendements ni augmenter la surface dédiée à l’agriculture. Autrement dit, de « produire plus avec moins ».

L’évolution des pratiques des agriculteurs montre que cela est possible, jusqu’à un certain point. En France, beaucoup de producteurs de grandes cultures ont réussi à réduire leurs consommations intermédiaires tout en continuant à accroître la productivité. Mais ce processus a des limites. Les solutions promises par l’agriculture écologiquement intensive, fondées sur l’optimisation des fonctionnalités biologiques, comme la photosynthèse, se font attendre. A court terme, il faut explorer plusieurs pistes, qui ont chacune leur contrepartie. Ainsi, l’agriculture de précision permet de grandes économies d’intrants, mais exige de coûteux investissements. Un sol moins travaillé stocke davantage de carbone, mais requiert des herbicides puissants, comme le glyphosate. Les nouvelles techniques de sélection génétique offrent aux agriculteurs des semences moins gourmandes en intrants, mais effraient l’opinion. Enfin, récolter deux voire trois cultures sur la même parcelle demande souvent de développer l’irrigation. Autant de solutions potentielles, autant de nouvelles questions et donc autant de choix à faire par les décideurs. Sans oublier un petit détail : le revenu qu’obtiendront les agriculteurs dans chacune des options choisies.

15/11/2018
Assurer, contractualiser

Jean-Christophe Debar, directeur de la fondation FARM

En théorie, tout est parfait. L’agriculteur qui achète une assurance climatique sécurise ainsi son revenu en cas de perte de rendement due par exemple à une sécheresse ou une inondation. Il est également incité à investir sur son exploitation pour augmenter sa production, d’autant plus qu’il obtient plus facilement un crédit bancaire. Avec ces atouts, les assurances climatiques devraient être souscrites en masse. Mais dans beaucoup de pays, en particulier en Afrique, la réalité est bien différente.

Dans la pratique, en effet, la commercialisation des polices d’assurance agricole se heurte à plusieurs obstacles : méconnaissance des mécanismes assuranciels par les agriculteurs, manque de confiance dans les assureurs, dysfonctionnement de certaines assurances indicielles, montant élevé des primes…. Les subventions de primes versées dans certains pays, ou encore la vente des assurances par l’intermédiaire des coopératives ou des distributeurs d’intrants, permettent de réduire les coûts, mais ne résolvent qu’une partie des problèmes.

Une voie prometteuse est celle de l’agriculture contractuelle. Les entreprises de transformation qui passent un contrat avec des producteurs pour l’achat de leur récolte sont souvent confrontées à un non-respect des engagements de livraison. Lorsque les cours montent, certains agriculteurs n’hésitent pas à vendre au plus offrant, mettant l’entreprise en situation de ne pas pouvoir honorer ses propres engagements avec les acheteurs d’aval. Pour fidéliser les agriculteurs, les transformateurs leur proposent généralement une palette de services – fourniture d’intrants, conseil technique, formation… - qui peut inclure une assurance climatique. C’est ce que fait la Société de développement des fibres textiles (SODEFITEX) vis-à-vis des producteurs de coton sénégalais, comme l’a exposé Malick Ndiaye, directeur général de la Caisse nationale de crédit agricole du Sénégal (CNCAS), lors du dernier congrès de la CICA à Berne.

Le couplage de l’assurance climatique à la contractualisation offre de multiples avantages. Pour les entreprises, qui ont la garantie que les producteurs pourront, même en cas d’aléa, rembourser les intrants mis à leur disposition. Pour les agriculteurs, qui n’ont pas à avancer le montant de la prime d’assurance, car celle-ci est généralement préfinancée (et parfois même subventionnée) par l’entreprise. Pour les assureurs, enfin, qui accroissent considérablement leur clientèle tout en minimisant leurs coûts de transaction. Ainsi s’enclenche un cercle vertueux. Fortes du succès obtenu avec l’assurance climatique, certaines entreprises, comme la société cotonnière NWK en Zambie, ont étendu le dispositif à l’assurance vie.