Jean-Christophe Debar, directeur de la fondation FARM
La critique est connue : en soutenant leurs agriculteurs, les pays riches augmentent leur production ; ils accroissent leurs exportations et réduisent leurs importations de produits agricoles, au détriment des agriculteurs des pays pauvres, confrontés à une concurrence déloyale. La politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne, premier exportateur agricole mondial, est ainsi la cible de violentes attaques, au motif qu’elle aurait des effets nuisibles sur les pays en développement. Mais qu’en est-il en vérité ?
Il est indéniable que la combinaison de prix garantis, de subventions à l’exportation et de fortes protections à l’importation mis en place par la PAC dans les années 1960 a permis à l’Europe de devenir un acteur majeur des marchés internationaux. La hausse de sa production a pesé sur les prix alimentaires mondiaux, au bénéfice des consommateurs des pays importateurs, mais au préjudice des agriculteurs des pays concurrents, ce qui a d’ailleurs contribué au lancement des négociations agricoles multilatérales en 1986.
L’abaissement des prix garantis partiellement compensé par des aides directes, au début des années 1990, puis le découplage de ces aides (c’est-à-dire leur déconnexion du volume produit et de la nature des productions pratiquées) et leur baisse graduelle à partir du milieu des années 2000 ont changé la donne. Selon la plupart des économistes, les paiements directs découplés ont un impact minime sur la production agricole européenne : celle-ci diminuerait peu s’ils étaient supprimés (en revanche, le nombre d’agriculteurs chuterait). Bien entendu, cet impact varie selon les secteurs, d’autant plus que certaines productions continuent de recevoir des aides spécifiques.
Des changements spectaculaires sont également survenus en matière de politique commerciale agricole. Certes, les protections à l’importation communautaires restent élevées. Mais l’Union européenne a complètement ouvert son marché aux exportations des pays les moins avancés et conclu un grand nombre d’accords commerciaux bilatéraux, préférentiels ou réciproques. En outre, elle ne verse plus de subventions à l’exportation, qu’elle s’est d’ailleurs engagée à abolir à l’OMC.
Résultat de ces évolutions : en trente ans, selon l’OCDE, le soutien aux agriculteurs européens, incluant à la fois les prix garantis, les paiements directs et les protections aux frontières, a été divisé par deux, en pourcentage de la valeur de la production. Les revenus agricoles, en France notamment, subissent de plein fouet ce désengagement public. Pour les pays pauvres, le premier enjeu n’est plus la réduction des aides dans les pays à haut revenu, même si des problèmes demeurent, mais la montée en puissance des pays émergents et la construction de solides politiques agricoles.