12/06/2018
La PAC contre les pays en développement?

Jean-Christophe Debar, directeur de la fondation FARM

La critique est connue : en soutenant leurs agriculteurs, les pays riches augmentent leur production ; ils accroissent leurs exportations et réduisent leurs importations de produits agricoles, au détriment des agriculteurs des pays pauvres, confrontés à une concurrence déloyale. La politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne, premier exportateur agricole mondial, est ainsi la cible de violentes attaques, au motif qu’elle aurait des effets nuisibles sur les pays en développement. Mais qu’en est-il en vérité ?  

Il est indéniable que la combinaison de prix garantis, de subventions à l’exportation et de fortes protections à l’importation mis en place par la PAC dans les années 1960 a permis à l’Europe de devenir un acteur majeur des marchés internationaux. La hausse de sa production a pesé sur les prix alimentaires mondiaux, au bénéfice des consommateurs des pays importateurs, mais au préjudice des agriculteurs des pays concurrents, ce qui a d’ailleurs contribué au lancement des négociations agricoles multilatérales en 1986.   

L’abaissement des prix garantis partiellement compensé par des aides directes, au début des années 1990, puis le découplage de ces aides (c’est-à-dire leur déconnexion du volume produit et de la nature des productions pratiquées) et leur baisse graduelle à partir du milieu des années 2000 ont changé la donne. Selon la plupart des économistes, les paiements directs découplés ont un impact minime sur la production agricole européenne : celle-ci diminuerait peu s’ils étaient supprimés (en revanche, le nombre d’agriculteurs chuterait). Bien entendu, cet impact varie selon les secteurs, d’autant plus que certaines productions continuent de recevoir des aides spécifiques.

Des changements spectaculaires sont également survenus en matière de politique commerciale agricole. Certes, les protections à l’importation communautaires restent élevées. Mais l’Union européenne a complètement ouvert son marché aux exportations des pays les moins avancés et conclu un grand nombre d’accords commerciaux bilatéraux, préférentiels ou réciproques. En outre, elle ne verse plus de subventions à l’exportation, qu’elle s’est d’ailleurs engagée à abolir à l’OMC.

Résultat de ces évolutions : en trente ans, selon l’OCDE, le soutien aux agriculteurs européens, incluant à la fois les prix garantis, les paiements directs et les protections aux frontières, a été divisé par deux, en pourcentage de la valeur de la production. Les revenus agricoles, en France notamment, subissent de plein fouet ce désengagement public. Pour les pays pauvres, le premier enjeu n’est plus la réduction des aides dans les pays à haut revenu, même si des problèmes demeurent, mais la montée en puissance des pays émergents et la construction de solides politiques agricoles.    

03/05/2018
Un enjeu majeur: financer les PME agroalimentaires

Un enjeu majeur: financer les PME agroalimentaires

Jean-Christophe Debar, directeur de la fondationn FARM

« Trop grandes pour la micro-finance et trop petites pour les banques et les fonds d’investissement traditionnels » : voilà ce qui caractérise les petites et moyennes entreprises (PME) du secteur agro-alimentaire en Afrique, selon un rapport récemment publié par le réseau hollandais AgriProFocus[1]. Privées des financements dont elles ont besoin, les PME stagnent ou échouent. C’est un gâchis, car elles contribuent fortement à la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté et la création d’emplois et sont ainsi un atout majeur pour atteindre les objectifs de développement durable énoncés par les Nations unies en 2015.

Les plus gros fonds n’investissent pas directement dans les entreprises ; ils privilégient les banques et les institutions de micro-finance. Le rapport identifie 14 fonds spécialisés qui ont pris des participations de moins de 5 millions de dollars dans des PME agroalimentaires africaines (la plupart des transactions se situent en fait dans une fourchette de 100 000-250 000 dollars). Le capital total investi, 230 millions de dollars, est bien en-deçà des besoins.

Les enquêtes effectuées auprès de quinze PME agroalimentaires au Kenya, au Mali, en Tanzanie et en Zambie montrent les causes du déséquilibre existant entre l’offre et la demande de capital-risque. Beaucoup de fonds sont trop petits, compte tenu de leurs coûts opérationnels. Et ils se fixent des objectifs de rentabilité trop élevés, d’ailleurs rarement atteints. De leur côté, nombre de firmes familiales souffrent d’une mauvaise gouvernance et d’une gestion peu rigoureuse. Elles ne sont pas capables de répondre aux exigences des financeurs, surtout si celles-ci comprennent des critères sociaux et environnementaux imposés par les bailleurs.

Pour remédier à cette situation, estime AgriProFocus, il faudrait que les fonds adoptent des stratégies d’investissement graduelles et différenciées selon la taille de l’entreprise et son stade de développement. La demande des PME à l’égard du capital-risque est en effet très diverse. Elles doivent être accompagnées tout au long de leur trajectoire de croissance, avec des outils de financement adaptés et une assistance technique appropriée. Encore faut-il que les fonds eux-mêmes puissent emprunter à des conditions préférentielles, grâce notamment à des financements mixtes, privés et publics. Les bailleurs et les Etats ont un rôle crucial à jouer pour réduire le coût du risque supporté par les petits entrepreneurs et leur permettre de faire épanouir leurs projets.  


[1] Critical Capital for African Agrifood SMEs. A review of demand for and supply of risk capital for Agrifood SMEs in Sub-Sahara Africa. Based on field studies in Kenya, Tanzania, Zambia and Mali, AgriProFocus, Food and Business Knowledge Platform, ICCO Cooperation, Rabobank Foundation, 2018.