25/03/2019
Augmenter les rendements pour réduire la déforestation ?

Jean-Christophe Debar, directeur de FARM

Il y a aujourd’hui un large consensus, chez les décideurs politiques mais pas dans l’opinion, sur la nécessité d’augmenter les rendements des cultures, en particulier dans les pays en développement, pour améliorer la sécurité alimentaire et réduire la pauvreté rurale. Il existe un autre argument, encore plus controversé, en faveur de la hausse de la productivité agricole : elle permet de ralentir l’expansion des surfaces cultivées et de freiner la déforestation, ce qui limite les pertes de biodiversité et les émissions de gaz à effet de serre. Point capital, quand on sait que les forêts continuent de rétrécir, notamment en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, le plus souvent pour faire place à la culture et l’élevage.    

Cet argument doit toutefois être nuancé. En effet, l’accroissement des rendements a des effets contradictoires sur les superficies cultivées. D’un côté, il diminue le besoin de terres pour fournir le même volume de production agricole. De l’autre, il entraîne une baisse des prix agricoles qui stimule la demande alimentaire et favorise, en retour, une hausse de la production. L’interaction entre ces deux phénomènes détermine l’évolution nette de la sole cultivée, compte tenu, bien sûr, des disponibilités de terres existantes.

Autre élément qui ajoute à la complexité du sujet : le différent niveau d’intégration des pays dans le commerce international de produits agricoles. Un chercheur américain a récemment mis en évidence que lorsque la productivité agricole croît dans un pays qui exporte une part significative de sa production, il peut en résulter une hausse des surfaces cultivées, comme on le constate au Brésil et en Indonésie ; cependant, cette hausse est généralement compensée par un recul des superficies cultivées dans le reste du monde, en raison de la diminution des prix agricoles résultant de l’augmentation de la production dans le pays exportateur.

Au total, selon ce chercheur, si la productivité agricole mondiale n'avait pas progressé entre 1991 et 2010, il aurait fallu cultiver 173 millions d'hectares de plus, soit l'équivalent d'environ 10 % des forêts tropicales. D’autres études donnent des résultats plus mitigés, selon les régions observées et la méthode d’estimation utilisée. Ainsi, l’accroissement des rendements apparaît comme nécessaire, mais pas suffisant, pour réduire la déforestation. Toute une batterie de mesures complémentaires s’impose : des politiques plus efficaces de protection des forêts, des aides aux agriculteurs qui acceptent de ne pas déboiser leurs parcelles ou encore la mise en place d’une certification « zéro-déforestation » dans les pays importateurs de cacao, de caoutchouc ou d’huile de palme. Il faut également mieux intégrer l’activité agricole et la forêt, en développant par exemple l’agroforesterie. D’autant plus que beaucoup de paysans, parmi les plus pauvres, collectent du bois pour leurs besoins domestiques et pour compléter leurs revenus.      

01/03/2019
Inde, Afrique : des politiques agricoles à la recherche d’efficacité

Jean-Christophe Debar, directeur de FARM

Inde, Afrique : des populations quasi identiques (1,3 milliard d’habitants) et des fondamentaux agricoles du même ordre de grandeur, qu’il s’agisse de la contribution de l’agriculture au produit intérieur brut ou des bas niveaux de revenus agricoles, résultant pour partie de la prédominance des petites exploitations. La part de la population active travaillant dans l’agriculture est nettement supérieure à celle des autres régions, avec le risque d’un creusement de l’écart de revenu entre villes et campagnes si les trajectoires de développement actuelles se poursuivent. Dans les deux cas, se pose clairement un problème d’efficacité des politiques agricoles.     

Ce problème, la question des subventions aux intrants l’illustre parfaitement.

De quoi s’agit-il ? Dans beaucoup de pays africains, les agriculteurs paient les engrais, mais aussi parfois les semences et les achats de matériel, à des prix inférieurs aux prix de marché, grâce à des subventions octroyées par l’Etat. Les aides aux intrants sont encore plus importantes en Inde, où elles couvrent également l’eau d’irrigation, l’électricité, le crédit, l’assurance, etc. Elles représentent quelque 6-8 % de la valeur de la production agricole, contre 1 à 2 % en Afrique subsaharienne.

Ces subventions font l’objet de nombreuses critiques. On leur reproche leur coût budgétaire élevé, leur relative inefficacité, leur détournement pour cause de fraude ou de corruption, leur ciblage défectueux qui laisse de côté beaucoup de petits producteurs ou encore leur impact négatif sur l’environnement, dû par exemple à la surconsommation d’engrais et d’eau d’irrigation.

Dans ce contexte, divers experts ont proposé des pistes de réforme. Les préconisations les plus audacieuses proviennent d’économistes indiens. Certains suggèrent de réduire la part des subventions aux intrants dans les dépenses de soutien à l’agriculture, au profit des investissements dans les infrastructures, la recherche ou la formation, censés accroître davantage la valeur ajoutée agricole ou réduire plus fortement la pauvreté. D’autres suggèrent de versement directement aux agriculteurs les sommes budgétisées pour les subventions aux engrais. Pour éviter tout détournement, mais aussi pour donner aux producteurs un plus grand pouvoir de décision sur l’utilisation des subsides. Cette nouvelle modalité permettrait en outre aux pouvoirs publics de cibler précisément les bénéficiaires des aides, en privilégiant les petits paysans et des catégories négligées, dont les femmes. Elle conduirait à une hausse du prix des engrais et à une baisse de la production agricole, mais la perte de revenu des agriculteurs serait compensée par le paiement direct. Des réflexions iconoclastes mais qui nourrissent utilement le débat sur les politiques agricoles, en Inde comme en Afrique.