29/04/2019
Les Big Data agricoles et l'Etat

Jean-Christophe Debar, directeur de FARM

La révolution numérique est en marche. Elle touche l’agriculture et rien ne lui échappe. « De la ferme à l’assiette », chaque maillon des filières est transformé, en soi comme dans sa connexion avec les autres. De ces bouleversements naîtront de nouvelles manières de produire, de vendre, de financer et d’assurer les chaînes de valeur.

Au cœur de cette révolution : la capacité de générer une moisson toujours plus abondante de données, par des capteurs au sol ou des images satellitaires, et de les analyser selon des techniques sophistiquées afin de dégager des informations exploitables. Il peut s’agir de gérer l’épandage des engrais en fonction du sol et du climat, de prévoir l’évolution d’un marché ou de bien d’autres fonctions. A la clé, entre autres avantages, l’automatisation des tâches, la réduction des coûts et de moindres impacts sur l’environnement.

Le royaume des start-up qui ont investi le champ de l’agriculture s’étend sur tous les continents. Si les nouvelles technologies sont a priori plus accessibles dans les pays riches, leur pouvoir transformateur est encore plus grand dans les pays du Sud, où les industries et services d’amont et d’aval de la production agricole doivent traiter avec une myriade de petits paysans qui n’ont pas ou peu accès aux intrants et aux marchés, mais sont de plus en plus reliés à Internet. Faciliter l’inclusion de ces petits agriculteurs dans les chaînes de valeur, afin d’améliorer leur productivité et leur revenu, est l’un des enjeux de cette mutation.

Les Etats aussi ont beaucoup à gagner des Big Data. D’abord pour améliorer la connaissance du secteur agricole : ainsi, on ne sait pas exactement combien il y a de fermes en Afrique. Les estimations varient dans une fourchette très large, de 50 à 100 millions, car elles reposent sur des recensements anciens et de qualité douteuse. L’Initiative 50 x 2030, soutenue par la Fondation Bill et Melinda Gates, des organisations internationales et plusieurs gouvernements, vise à conduire des enquêtes régulières auprès des ménages agricoles dans 50 pays à faible revenu (30 pays au sud du Sahara, 10 en Asie, 10 en Amérique latine), d’ici à 2030. Les résultats, conjugués à d’autres données, feront l’objet d’une large diffusion.

L’enjeu est également financier. Dans des pays où des pans entiers des filières agroalimentaires opèrent de manière informelle, hors de porté des radars administratifs, l’intégration des agriculteurs et des petites et moyennes dans les chaînes de valeur, via la blockchain ou d’autres outils numériques, permettra d’identifier les acteurs et de lever impôts et taxes. Les Etats en manque de ressources pourront ainsi élargir leur assiette fiscale. A condition, bien sûr, de ne pas tuer la poule aux œufs d’or par des interventions intempestives.

25/03/2019
Augmenter les rendements pour réduire la déforestation ?

Jean-Christophe Debar, directeur de FARM

Il y a aujourd’hui un large consensus, chez les décideurs politiques mais pas dans l’opinion, sur la nécessité d’augmenter les rendements des cultures, en particulier dans les pays en développement, pour améliorer la sécurité alimentaire et réduire la pauvreté rurale. Il existe un autre argument, encore plus controversé, en faveur de la hausse de la productivité agricole : elle permet de ralentir l’expansion des surfaces cultivées et de freiner la déforestation, ce qui limite les pertes de biodiversité et les émissions de gaz à effet de serre. Point capital, quand on sait que les forêts continuent de rétrécir, notamment en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, le plus souvent pour faire place à la culture et l’élevage.    

Cet argument doit toutefois être nuancé. En effet, l’accroissement des rendements a des effets contradictoires sur les superficies cultivées. D’un côté, il diminue le besoin de terres pour fournir le même volume de production agricole. De l’autre, il entraîne une baisse des prix agricoles qui stimule la demande alimentaire et favorise, en retour, une hausse de la production. L’interaction entre ces deux phénomènes détermine l’évolution nette de la sole cultivée, compte tenu, bien sûr, des disponibilités de terres existantes.

Autre élément qui ajoute à la complexité du sujet : le différent niveau d’intégration des pays dans le commerce international de produits agricoles. Un chercheur américain a récemment mis en évidence que lorsque la productivité agricole croît dans un pays qui exporte une part significative de sa production, il peut en résulter une hausse des surfaces cultivées, comme on le constate au Brésil et en Indonésie ; cependant, cette hausse est généralement compensée par un recul des superficies cultivées dans le reste du monde, en raison de la diminution des prix agricoles résultant de l’augmentation de la production dans le pays exportateur.

Au total, selon ce chercheur, si la productivité agricole mondiale n'avait pas progressé entre 1991 et 2010, il aurait fallu cultiver 173 millions d'hectares de plus, soit l'équivalent d'environ 10 % des forêts tropicales. D’autres études donnent des résultats plus mitigés, selon les régions observées et la méthode d’estimation utilisée. Ainsi, l’accroissement des rendements apparaît comme nécessaire, mais pas suffisant, pour réduire la déforestation. Toute une batterie de mesures complémentaires s’impose : des politiques plus efficaces de protection des forêts, des aides aux agriculteurs qui acceptent de ne pas déboiser leurs parcelles ou encore la mise en place d’une certification « zéro-déforestation » dans les pays importateurs de cacao, de caoutchouc ou d’huile de palme. Il faut également mieux intégrer l’activité agricole et la forêt, en développant par exemple l’agroforesterie. D’autant plus que beaucoup de paysans, parmi les plus pauvres, collectent du bois pour leurs besoins domestiques et pour compléter leurs revenus.