Jean-Christophe Debar, directeur de FARM
La révolution numérique est en marche. Elle touche l’agriculture et rien ne lui échappe. « De la ferme à l’assiette », chaque maillon des filières est transformé, en soi comme dans sa connexion avec les autres. De ces bouleversements naîtront de nouvelles manières de produire, de vendre, de financer et d’assurer les chaînes de valeur.
Au cœur de cette révolution : la capacité de générer une moisson toujours plus abondante de données, par des capteurs au sol ou des images satellitaires, et de les analyser selon des techniques sophistiquées afin de dégager des informations exploitables. Il peut s’agir de gérer l’épandage des engrais en fonction du sol et du climat, de prévoir l’évolution d’un marché ou de bien d’autres fonctions. A la clé, entre autres avantages, l’automatisation des tâches, la réduction des coûts et de moindres impacts sur l’environnement.
Le royaume des start-up qui ont investi le champ de l’agriculture s’étend sur tous les continents. Si les nouvelles technologies sont a priori plus accessibles dans les pays riches, leur pouvoir transformateur est encore plus grand dans les pays du Sud, où les industries et services d’amont et d’aval de la production agricole doivent traiter avec une myriade de petits paysans qui n’ont pas ou peu accès aux intrants et aux marchés, mais sont de plus en plus reliés à Internet. Faciliter l’inclusion de ces petits agriculteurs dans les chaînes de valeur, afin d’améliorer leur productivité et leur revenu, est l’un des enjeux de cette mutation.
Les Etats aussi ont beaucoup à gagner des Big Data. D’abord pour améliorer la connaissance du secteur agricole : ainsi, on ne sait pas exactement combien il y a de fermes en Afrique. Les estimations varient dans une fourchette très large, de 50 à 100 millions, car elles reposent sur des recensements anciens et de qualité douteuse. L’Initiative 50 x 2030, soutenue par la Fondation Bill et Melinda Gates, des organisations internationales et plusieurs gouvernements, vise à conduire des enquêtes régulières auprès des ménages agricoles dans 50 pays à faible revenu (30 pays au sud du Sahara, 10 en Asie, 10 en Amérique latine), d’ici à 2030. Les résultats, conjugués à d’autres données, feront l’objet d’une large diffusion.
L’enjeu est également financier. Dans des pays où des pans entiers des filières agroalimentaires opèrent de manière informelle, hors de porté des radars administratifs, l’intégration des agriculteurs et des petites et moyennes dans les chaînes de valeur, via la blockchain ou d’autres outils numériques, permettra d’identifier les acteurs et de lever impôts et taxes. Les Etats en manque de ressources pourront ainsi élargir leur assiette fiscale. A condition, bien sûr, de ne pas tuer la poule aux œufs d’or par des interventions intempestives.